La Casbah d’Oran existe-t-elle ? Elle n’est pas classée au patrimoine de l’Unesco comme celle
d’Alger, elle n’a pas sa journée nationale, elle ne figure sur aucun circuit touristique, elle n’est
pas à l’ordre du jour des autorités nationales, ni locales d’ailleurs. On dirait qu’elle n’existe pas !
Or elle est là, devant nous, depuis au moins 11 siècles, avec ses remparts, ses bastions, ses
tunnels, ses inscriptions, ses trésors cachés, ses matériaux vandalisés et ses cris étouffés.
Qui se souvient de cet enseignant en architecture, qui disait à ses étudiants que la Casbah
d’Oran n’existait pas ? Il est vrai que la confusion vient du fait que les Algérois appellent Casbah
toute la médina et la fortification qui la domine Bordj Moulay Hassen (Fort l’Empereur). A
Constantine, la médina s’appelle Souika et la fortification qui la domine Casbah. Et comme Oran
a perdu sa vieille médina andalouse, du temps de l’occupation espagnole qui a transformé la
ville en présidio, seuls demeurent les remparts constitutifs de notre vieille Casbah.
Etymologiquement Casbah veut dire fortification en arabe et, par extension, citadelle,
englobant en son sein la vieille ville. Si au cours d’une bataille, la ville tombe entre les mains des
assaillants, la Casbah, elle, est prévue pour résister le plus longtemps possible. C’est pour cela
qu’elle abrite le siège du gouverneur, la caserne principale et la prison de haute sécurité.
Comment est née la Casbah ?
Nous tenons d’Ibn El Warak, cité par El Bekri, le récit fondateur de la ville d’Oran, fondée en 290
de l’Hégire (902-903) par des marins andalous menés par Mohamed Ibn Aoun, avec
l’assentiment des tribus berbères Mosguen et Nefza qui occupaient la région. Et plus tard, les
géographes et voyageurs nous ont décrit les lieux et, en particulier, la rade naturelle de Mers El
Kébir. Au début du XVIème siècle, Hassan El Wazan, dit Léon l’Africain, nous offre une dernière
description de la ville avant son occupation par les Espagnols : «Oran est une grande cité bien
fournie d’édifices et de toutes choses qui sont séantes à une bonne cité, comme collèges,
hôpitaux, bains publics et hôtellerie, la ville étant ceinte par ailleurs de belles et hautes
murailles».
Autre document : la fresque réalisée sur commande par le Cardinal Ximenes, qui montre la
prise d’Oran par l’armée espagnole en 1509. Sur cette grande fresque, qu’on peut toujours voir
à la chapelle mozarabe de la ville de Tolède, les «hautes et belles murailles» de la Casbah sont
bien mises en évidence.
La longue occupation espagnole va transformer notre ville andalouse en un «presidio mayor»,
en particulier la Casbah, qui perdra ses hautes murailles et donjons au bénéfice d’une double
muraille bastionnée et tenaillée. Les remparts perdront de leurs hauteurs au profit de
l’épaisseur. Des postes avancés, situés au-delà des fossés naturels, seront construits, à l’instar
de San Pedro et Santiago, le tout relié par des tunnels. Vu l’importance d’Oran comme place
forte, les Espagnols créèrent une école de mathématiques pour former des ingénieurs-
architectes spécialisés en fortification bastionnée. C’était le siège des gouverneurs, dont le
dernier a trouvé la mort lors du tremblement de terre de 1790.
Après la première libération d’Oran en 1708, le Bey Mustapha El Mesrati, dit Bouchelaghem, a
élu domicile au sein de la Casbah, y menant des aménagements pour un palais avec toutes les
commodités. Le Bey Mohamed El Kébir, quant à lui, après la libération définitive de la ville en
février 1792, va construire un palais sur l’éperon de la fortification du Rozalcasar, épargnée par
le tremblement de terre. La Casbah, ruinée, restera en état d’abandon durant une bonne
période. L’armée française, qui prit possession de la ville en janvier 1831, va construire au sein
même de la Casbah des casernes visibles de nos jours et introduire quelques aménagements à
l’intérieur et surtout à l’extérieur de la Casbah par le dérasement de la muraille d’enceinte et
l’ouverture du premier boulevard Oudinot, actuellement des frères Guerrab.
A l’indépendance, l’ANP va naturellement prendre possession de la Casbah, jusqu’à son
redéploiement au début des années 90, où elle remettra les clés ainsi que ceux du fort Santa
Cruz aux autorités civiles, qui ne savent pas quoi en faire. C’est à ce moment que débute le
squat qui va s’accentuer avec la décennie noire. 200 familles y éliront domicile, y aménageant
des gites sans toucher à l’édifice. Nous pouvons en témoigner, puisque nous leur avons rendu
visite plusieurs fois. Nous avions sollicité l’ENTV en 2006 pour un reportage choc qui est passé
au JT de 20h, montrant des familles oranaises «logeant dans des cellules de condamnés à mort
et des silos». Un relogement fut décidé en 2007 et de nouveau, la Casbah vide, on ne savait pas
quoi en faire. Pour dissuader tout pillage, vandalisme ou autres squat, nous avions, en 2008, en
tant qu’élu à l’APC, proposé de domicilier certains corps constitués, à l’instar des sapeurs-
pompiers ou des gardes communaux en attendant des jours meilleurs. Ceci n’a pas été fait et le
bâtiment servant d’infirmerie a vu sa toiture en briques de Marseille s?envoler. L’Ogebc venait
d’être créé et mettra en place un gardiennage qui assurera un minimum de sauvegarde. Depuis,
aucun projet du ministère de tutelle ; et depuis au moins une dizaine d’années que nous
relançons la tutelle pour au moins commencer par mettre en place un projet de fouilles
archéologiques.
Pourquoi des fouilles archéologiques ?
C’est le site le plus ancien de la ville, jamais fouillé quoique indéniablement le plus riche, non
pas par négligence mais parce que la Casbah a été de tout temps un site militaire. La raison
pour entreprendre les fouilles, comme nous l’expliquait l’historien et chercheur Fouad Soufi,
lors d’une interview réalisée en l’an 2000, que c’est là où se trouve les reliques et autres pièces
archéologique de la période bérbéro-arabo-musulmane. D’ailleurs quand on visite le musée
d’Oran ou de Tlemcen dont dépendait Oran lors du règne zianide, on y trouverait à peine
quelques pièces de monnaie. C’est pratiquement une page blanche du Xème au XVIème siècle,
surtout qu’il y a peu d’écrits. Il s’agit quand même de six siècles d’une histoire aussi riche
qu’agitée qui a vu passer les Omeyades, les Maghraouas, les Fatimides, les Almoravides, les
Almohades, les Mérinides, les Zianides et on trouve quoi aux musées ? Une maigre collection de
numismatique. Les fouilles archéologiques se feront en parallèle avec les fouilles et lecture de
surface relatives aux techniques d’utilisation du pisé, briques pleines et pierres de taille. Les
Omeyades par exemple ont une façon particulière d’appareiller les pierres. Une visite à
Cordoue et à Ceuta nous a permis de documenter cette façon de faire.
Les fouilles archéologiques auront des conséquences heureuses sur le site : gardiennage
renforcé, découvertes scientifiques, visibilité et attractivité du site assurées, exposition et un
musée d’interprétation de la Casbah enrichi au fur et à mesure de l’avancement du projet. Des
travaux d’historiens, d’architectes innovants verront le jour et, avec, s’ouvriront des
perspectives de restauration et d’aménagement du site avec la création de circuits historiques
et d’activités culturelles. Avec son classement, on pourra aussi envisager une journée de la
Casbah d’Oran, un moment de réflexion et contre l’oubli. On attend de l’étude actuelle du plan
de sauvegarde et de mise en valeur du secteur de Sidi El Houari des prescriptions pour
préserver l’environnement du site. Lors de la dernière réunion de la Commission nationale de
l’Unesco tenue à Alger en décembre 2018, nous avions demandé la prise en charge d’un tel
chantier et c’est le représentant de la direction de la recherche scientifique du ministère de
l’Enseignement supérieur qui s’engage à financer le projet car voyant en celui-ci une occasion
de relancer la recherche académique sur un site original. Nous avions saisi, à plusieurs reprises,
le Conseil National de la Recherche Archéologique, dépendant du ministère de la Culture, et
tenu une séance de travail avec les nouveaux responsables ; en vain !
Si nos responsables ne sont pas encore sensibles à l’argumentaire pertinent, parions qu’ils le
seront plus aux réactions sur les réseaux sociaux ! Comme ce fut le cas pour le site de Bethioua,
et tout dernièrement sur la paternité de l’initiative de nettoiement de la Casbah avec son
corolaire habituel fait de polémiques, d’interpellations outrancières, de préalables idéologiques
et soubresauts émotionnels, ce qui traduit en fait une interprétation antagonique de notre
patrimoine et ce, malgré la clarification apportée par la loi 98/04 de protection du patrimoine
qui précise dans son article 2 que «[…] sont considérés comme patrimoine culturel de la nation
tous les biens culturels […] légués par les différentes civilisations qui se sont succédé de la
préhistoire à nos jours […]».
En d’autres termes tout ce qui est bâti, ancien ou nouveau, peut être considéré comme notre
patrimoine ou une de nos richesses à patrimonialiser. On en doute encore ?
Metaïr Kouider
*Président de l’association culturelle Bel Horizon.