Nacéra, une vie de cassé
Outre qu’elle se doit d’être docile et obéissante à son “homme”, Nacéra se doit de laver,
récurer et jusqu’à être lessivée par les lessives du couple et de la maisonnée. Est-ce cela
l’amour ? Que nenni ! Du fait que Nacéra s’use jusqu’à ce qu’elle chope “un mal
psychosomatique”.
Choquant et révoltant ! C’est le cas de s’exclamer à mesure que l’on avance dans l’engrenage
qui est au cœur de la trame ourdie par l’écrivaine Fayza Stambouli Acitani dans son roman Les
murailles de l’interdit (éd. Imtidad). Et s’il m’est prêté la plume de la poétesse Acitani,
j’intitulerai son récit de “piège” ou “piégée”.
C’est le cas de Nacéra qui s’est faite enjôlée et flouer dans la maison des “interdits” où elle
n’est plus qu’une intruse et mal-aimée.
Pis, à l’itératif flot d’engueulades médisantes et fielleuses de laâdjouza (belle-mère) s’ajoute
l’humeur de son beau-père ou plutôt ce garde-chiourme qui serre la vis au-delà même de
l’endurable et calfeutre la maisonnée derrière les volets clos.
“Protéger sa famille est sa préoccupation primordiale. La cacher même de l’on ne sait quel
danger ou quel regard pervers relève chez lui d’une véritable obsession”, décrit l’autrice de
Souffle de pétales (éd. Médias Index) avec sa plume trempée dans l’encrier des frustrations
amoureuses.
Cela dit, c’est à la limite du saugrenu que d’épouser une fille à la chevelure lâchée au vent et
qui s’habille court ou en jean, alors que le futur époux rêve d’avoir à ses côtés une femme en
hidjab et voilée… C’est le cas de Nacéra, capturée et emmurée dans ce qui a l’air d’une cage aux
dorures fanées et où l’existence est identique à une vie en chambrée de caserne.
D’où la désillusion et l’étonnement d’avoir été dupée dans une union qui a tout l’air d’un
attrape-nigaud. Est-ce parce qu’elle a idéalisé son soupirant au-delà de la raison ou qu’elle
n’avait plus les pieds sur terre ? Quoi qu’il en fût d’une roublardise de drague ou de “chasse”,
Nacéra s’était liée pieds et poings dans les rets d’une liaison prétendument amoureuse, mais
qui ne dura en réalité qu’une nuit de noces.
Pour le reste de ce qu’elle doit vivre loin de l’épaule de son soupirant, le réveil s’annonce au
clairon de la belle-mère et des corvées ménagères exécutées au pas cadencé. Outre qu’elle se
doit d’être docile et obéissante à son “homme”, Nacéra se doit de laver, récurer, jusqu’à être
lessivée par les lessives du couple et de la maisonnée. Est-ce ça, l’amour ? Que nenni ! du fait
que Nacéra s’use jusqu’à ce qu’elle chope “un mal psychosomatique”.
D’où qu’il est requis d’avouer que le rêve de l’hypothétique grand amour crée aussi de la
contrariété. Et pour cause, l’amère évidence est aux antipodes de l’idéal. Bien entendu qu’il est
inutile de chercher s’il y a de la similitude avec du vécu, étant donné que le destin de Nacéra se
croise et s’entrecroise jusqu’à ce qu’il soit le destin croisé de l’Algérienne.
C’est qu’elle n’est pas seule, Nacéra, dans ses péripéties conjugales, puisqu’elle se tourmente
de la vie de sa belle-sœur Hafida, enlisée dans le machisme de ses frères.
Seulement, Hafida prend du plaisir à bouder Nacéra : “C’est une manière de la punir d’avoir pris
cette liberté de partir pour une évasion touristique et de faire trempette en robe.” De ce point
de vue, c’est si peu de chose pour Nacéra, qui a vécu “le temps de l’amour, le temps des
copains et de l’aventure”, à l’époque de mai 1968, qui a abouti au relâchement des mœurs.
Écrit dans le style narratif d’où s’écoule l’envie d’aller jusqu’au bout, l’œuvre de Fayza
Stambouli Acitani est une plaidoirie en faveur de toutes ces Algériennes qui s’usent dans leurs
ménages.
À cet égard, osons la question qui fâche : étrange énormité que ce désir de se lier à une
étudiante ou une femme dite “active” ou dynamique alors que l’époux a à cœur d’avoir à ses
côtés une femme au foyer, de surcroît “hidjabisée”.
Pourquoi ce désir de s’allier à l’être qui incarne pourtant la différence de soi pour l’enchaîner de
cette main de fer qu’il a habilement dissimulée auparavant sous un gant de velours pour qu’elle
vive désormais à l’ombre du mari ?
LOUHAL Nourreddine